L’intelligence artificielle, menace ou opportunité pour les photographes ?
L’intelligence artificielle (IA) est aujourd’hui partout et a vocation à se développer toujours plus frénétiquement. Néanmoins, cette course en avant attise les angoisses, nombreux étant ceux à craindre de voir leur profession disparaître. Avec la démocratisation des outils faisant appel à cette technologie, le domaine de la photographie s’avère particulièrement concerné. Mais alors, entre utilité et danger, que représentent réellement ces innovations ? Pour le savoir, nous nous sommes entretenus avec le photographe Albert Rosso.
L’IA s’enracine dans le monde de la photographie
Depuis plusieurs années, une myriade de nouveaux outils sont apparus à la disposition du public, proposés tant par des multinationales de premier plan que par des firmes auparavant inconnues, ayant décidé de se lancer sur la vague, pour ne pas dire le tsunami, de l’intelligence artificielle. Cette dernière s’est ainsi immiscée dans l’ensemble du processus photographique.
En matière de prise de vue, les appareils photo dotés d’une IA intégrée sont désormais en mesure d’ajuster automatiquement les paramètres en fonction des conditions de lumière et du sujet. Certains modèles possèdent des systèmes de reconnaissance sonore ou visuelle, permettant de réagir au moindre bruit ou mouvement, et donc de réaliser des clichés d’une précision se comptant en fraction de seconde, un exploit jusque-là difficilement atteignable. D’autres appareils encore, à l’instar du Google Clips, se révèlent même parfaitement autonomes. Posés dans le coin d’une pièce, son IA apprend progressivement à immortaliser les meilleurs instants de votre quotidien, et ce, sans la moindre intervention de votre part.
L’impact le plus notable se situe cependant peut-être dans la postproduction. Les logiciels de retouche photo basés sur l’IA offrent des fonctionnalités avancées pour éditer et améliorer les images. Ces outils rendent possibles une correction rapide des couleurs, de la luminosité ou des contrastes, la suppression d’éléments indésirables, voire des retouches plus complexes, le tout automatisé ou semi-automatisé.
« Les tâches créatives qui prenaient beaucoup plus de temps, sont maintenant exécutées en quelques secondes. La génération d’eau, de branches d’arbres, de reflets, tout cela est disponible à la demande dans les dernières mises à jour de l’éditeur graphique. Si auparavant je devais demander à mes assistants d’aller chercher et de tenir des branches autour du modèle, désormais, en sélectionnant une zone sur la photo, je peux faire une demande pour générer des éléments qui complètent mon idée créative », illustre, en évoquant les nouvelles fonctionnalités de Photoshop, Albert Rosso, artiste et collaborateur, entre autres, des versions de Vogue et de L’Officiel.
Par ailleurs, l’IA offre des capacités de tri et de gestion des fichiers. Les algorithmes peuvent analyser les photos, les classer selon les éléments qui y figurent, voire suggérer des clichés similaires. Cela simplifie la recherche et l’organisation de vastes collections.
Ces nouvelles technologies rendent donc l’art photographique plus accessible, chacun d’entre nous étant dorénavant en capacité de réaliser, sans grands efforts ni formation ou talent réel, des photographies de qualité.
Les professionnels dépossédés de leur domaine ?
Cependant, cette démocratisation suscite l’appréhension des professionnels de la photographie, qui redoutent de voir leurs services perdre de leur pertinence et de leur popularité. Un sentiment renforcé par l’apparition récente d’outils, parmi lesquels Midjourney, DALL-E 2 et DreamStudio, permettant de générer, à partir d’une simple description textuelle, des images complètes de plus en plus réalistes.
« En effet, de nombreux photographes amateurs risquent dans un avenir proche de voir leur travail cesser d’être demandé sur le marché, étant donné que la génération d’images sur demande peut être réalisée en quelques secondes et que le coût de ces demandes est beaucoup moins élevé en termes monétaires, concède notre interlocuteur. Le deuxième point est la commodité pour le client, qui peut faire une demande par mots-clés et choisir une image adaptée à ses besoins, alors que le photographe a besoin, en plus de la fourniture de spécifications techniques, de temps pour photographier et éditer l’image jusqu’au résultat final».
Depuis plusieurs mois, apparaissent même des applications mobiles, basées sur des réseaux neuronaux artificiels, proposant, parfois gratuitement, de transformer un simple selfie en portrait idéal pour un CV, vous affublant alors d’un costume tiré à quatre épingles et remplaçant le décor de votre salon par celui d’un bureau en dernier étage de gratte-ciel. Quel besoin alors d’avoir encore recours aux photographes professionnels ? Face à de telles innovations, les inquiétudes de ces derniers ne sont-elles pas réellement à prendre au sérieux, ces technologies pouvant constituer une redoutable concurrence ?
« En ce qui concerne les photographes professionnels, je pense que la demande de contenu unique se maintiendra, tout comme la demande de peinture s’est maintenue après l’avènement de la photographie. En fin de compte, les réseaux neuronaux artificiels ont besoin de personnes pour leur propre formation, ce qui attire des gens ayant des connaissances dans ce domaine », relativise Albert Rosso, lui-même particulièrement prisé, notamment pour des shootings de mode.
Et effectivement, la clef de ce sujet semble résider dans la compréhension du fait, que nous faisons aujourd’hui face à une simple évolution de la profession. Tout comme les cochers d’autrefois ont délaissé leurs chevaux pour se mettre au volant d’automobiles, il conviendra aux photographes de s’adapter à ces nouveautés et de se les approprier pour en faire des atouts, plutôt que de s’y opposer, au risque de demeurer en marge d’un progrès, que l’on ne saurait arrêter.
Un outil de plus sur la palette des artistes
Albert Rosso, lui, a depuis longtemps franchi le pas, l’intelligence artificielle faisant déjà partie intégrante de son travail.
« Mes œuvres se tiennent à la frontière entre de réelles photographies et la génération d’images, ce qui me permet d’utiliser de vrais objets dans mes séances photo, tandis que les générations d’images me donnent la possibilité de compléter ce qui a été photographié. […] Les moyens de combiner photographies réelles et génération d’images semblent infinis », explique-t-il.
En vérité, les générateurs d’images par IA, bien que décriés par certains pour des questions d’éthique et d’authenticité des œuvres, la frontière entre réalité et fiction malléable devenant des plus ténues, s’avèrent également une excellente source d’inspiration pour les créateurs.
« L’une des manières d’utilisation de tels services est la génération d’images en guise de références pour ses photographies. L’on ne parvient pas toujours à trouver des images adéquates pour la création de séries et le travail de l’équipe de professionnels durant une séance photo. De telles séries peuvent faciliter le processus artistique et fournir un exemple éclairant pour la résolution de tâches sur le plateau de shooting », poursuit Rosso.
Selon lui, l’IA engendrera finalement plutôt la création d’une nouvelle branche artistique, parallèle, voire complémentaire à la photographie.
« Il est en fait très difficile de prédire ce qu’entrainera le développement de l’IA dans la sphère de l’art. Potentiellement, apparaîtra une nouvelle direction dans l’art, qui offrira à l’avenir un nouveau regard sur les images graphiques. Mais l’on peut dire assurément que les actions routinières seront simplifiées et s’exécuteront plus rapidement que jamais», conclut l’artiste.